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James Sandecker était considéré comme l’un des plus beaux partis de Washington. Célibataire endurci, sa seule véritable maîtresse était son travail et il n’entretenait que peu de relations suivies avec les femmes, se contentant de brèves liaisons. Il n’était guère porté sur l’amour et le romantisme et, dans une autre vie, aurait fort bien pu être ermite.

Il avait dépassé la cinquantaine et conservait une forme parfaite grâce à la pratique régulière du sport. Il était petit, musclé, et ses cheveux ainsi que sa barbe rousse ne présentaient pas le moindre fil argenté. C’était un homme réservé, bourru, qui plaisait aux membres du sexe opposé.

Il dînait dans un luxueux restaurant de Washington en compagnie de l’une de ses récentes conquêtes et ils attaquaient le dessert lorsqu’un homme à la carrure de boxeur entra dans la salle, regarda autour de lui et, repérant l’amiral, se dirigea vers leur table.

« Excusez-moi, madame, de vous déranger », fit-il avec un sourire à la jeune femme.

Puis il se pencha pour souffler quelque chose à l’oreille de Sandecker. Celui-ci hocha la tête et lança un regard navré à son invitée.

« Il faut que vous me pardonniez, mais je dois absolument partir.

— Une affaire concernant le gouvernement ? »

Il acquiesça.

« Eh bien, fit-elle avec résignation. Au moins, nous aurons eu le temps de terminer le repas. »

Il se leva et lui déposa un baiser sur le front :

« Ce n’est que partie remise. »

Il régla l’addition, demanda au maître d’hôtel d’appeler un taxi pour la jeune femme, puis quitta le restaurant.

 

La voiture de l’amiral s’arrêta à l’entrée spéciale du tunnel menant au Kennedy Center. Un homme au visage impassible, en tenue de soirée, lui ouvrit la portière.

« Si vous voulez bien me suivre, monsieur.

— Services secrets ?

— Oui, monsieur. »

  Sandecker ne posa pas d’autres questions. Il descendit et suivit l’agent le long d’un couloir vers les ascenseurs. La cabine les déposa au niveau des loges de l’opéra et ils se dirigèrent vers une petite salle de réunion.

Daniel Fawcett, les traits de marbre, accueillit Sandecker d’un simple geste de la main.

« Désolé d’avoir gâché votre soirée, amiral.

— Le message précisait que c’était urgent.

— Je viens juste de recevoir un nouveau rapport de Kodiak. La situation s’est aggravée.

— Le Président est au courant ?

— Pas encore, il vaut mieux attendre l’entracte. S’il quittait brusquement sa loge au milieu du deuxième acte de Rigoletto, ça déclencherait un tas de rumeurs. »

Un employé du Kennedy Center apporta du café. Sandecker se versa une tasse tandis que le secrétaire général de la Maison Blanche arpentait nerveusement le plancher. L’amiral refoula son envie d’allumer un cigare.

Environ dix minutes plus tard, le Président apparut, vêtu d’un smoking noir dont la veste était ornée d’une pochette bleue. Les applaudissements du public leur parvinrent par la porte restée un instant ouverte.

« Je voudrais pouvoir dire que je suis content de vous voir, amiral, mais chaque fois que nous nous rencontrons, c’est en pleine période de crise.

— Il semblerait bien, en effet », fit Sandecker.

  Le Président se tourna vers Fawcett.

« Alors, ces mauvaises nouvelles, Dan ?

— Le capitaine d’un ferry a enfreint les ordres des garde-côtes et a emprunté sa route normale pour relier Seward sur le continent à Kodiak. Le ferry a été retrouve-il y a quelques heures échoué sur l’île Marmot. Tous les passagers et les membres d’équipage ont péri.

— Bon Dieu ! s’exclama le Président. Combien de morts ?

— Trois cent douze.

— Voilà qui flanque tout par terre, constata l’amiral. Ça va être l’enfer quand les médias vont avoir vent de cette catastrophe.

— Nous ne pouvons plus rien faire, ajouta Fawcett avec résignation. L’information tombe déjà sur les télex. » -

Le Président s’effondra dans un fauteuil. Sur les écrans de télévision, il semblait assez grand et se comportait lui-même comme un homme grand alors qu’il mesurait tout juste cinq centimètres de plus que Sandecker. Ses cheveux grisonnants étaient clairsemés et son visage étroit affichait un air résolu et solennel, une expression qu’il laissait rarement paraître en public. Il jouissait d’une énorme popularité, servi par une personnalité chaleureuse et un sourire communicatif qui désarmait les plus hostiles de ses interlocuteurs. Les fructueuses négociations qu’il avait menées en vue de la fusion des Etats-Unis et du Canada avaient contribué à lui forger une image à l’abri de toute critique partisane.

« Nous ne pouvons plus tergiverser, déclara-t-il. Il faut mettre tout le golfe d’Alaska en quarantaine et évacuer les populations côtières.

— Je dois vous exprimer mon désaccord, fit calmement Sandecker.

— J’aimerais entendre vos raisons.

— Pour autant que nous le sachions, la contamination s’est cantonnée à la haute mer. Nous n’en avons relevé aucune trace sur le continent. L’évacuation de la population exigerait beaucoup de temps et de moyens. Les habitants de l’Alaska sont des gens rudes, particulièrement les pêcheurs. Je doute fort qu’ils acceptent facilement de partir, surtout si l’ordre émane du gouvernement fédéral.

— Des têtes de mule !

— Oui, mais pas des idiots. Les associations de pêcheurs ont toutes donné leur accord pour laisser les bateaux au port et les conserveries ont commencé à enterrer les poissons et crustacés péchés au cours des dix derniers jours.

— Il faudra leur accorder une aide économique.

— Ils y comptent bien.

— Et que proposez-vous ?

— Les garde-côtes n’ont pas assez d’hommes ni de bâtiments pour patrouiller dans le golfe entier. Il faut que la Navy intervienne.

— Cela pose un problème, réfléchit le Président. Si l’on augmente les effectifs, on augmente également les risques.

— Pas nécessairement, répliqua l’amiral. L’équipage du garde-côte qui a découvert les premiers morts n’a pas été affecté car le bateau de pêche avait dérivé loin de la zone mortelle.

— Et les deux hommes qui sont montés à bord ? Ils sont bien morts. Le médecin aussi.

— La contamination s’était déjà répandue sur le pont, le bastingage, sur presque toutes les parties du bateau. Dans le cas du ferry, toute sa zone centrale était conçue pour le transport des voitures. Les passagers et l’équipage n’étaient pas protégés. Les navires modernes, en revanche, sont construits pour pouvoir être isolés en cas de radioactivité engendrée par une attaque nucléaire. Ils peuvent donc sillonner la région contaminée avec un degré de risque acceptable.

— D’accord, acquiesça le Président. Je vais donner l’ordre au ministère de la Marine de prêter assistance aux garde-côtes. Mais je n’abandonne pas l’idée d’un plan d’évacuation. Pêcheurs entêtés ou pas, il y a aussi des femmes et des enfants en cause.

— Ce que je voudrais également vous demander, monsieur le Président, c’est un délai de quarante-huit heures avant de déclencher l’opération. Ce sera peut-être suffisant à mon équipe pour découvrir la source de la contamination. »

Le Président garda un instant le silence, considérant Sandecker avec un regain d’intérêt.

« Quels sont donc les membres de cette équipe ?

— Le coordinateur et responsable sur le terrain est le docteur Julie Mendoza, une biochimiste de l’A.P.E.

— Ce nom ne me dit rien.

— C’est la meilleure spécialiste américaine de pollution marine, expliqua l’amiral sans hésiter. Quant aux opérations de recherche de l’épave renfermant l’agent S, comme nous le pensons, elles sont dirigées par mon directeur des projets spéciaux, Dirk Pitt. »

Le Président ouvrit de grands yeux.

« Je connais Mr. Pitt. Il s’est révélé très précieux dans cette affaire canadienne il y a quelques mois. »

Il vous a sauvé la mise, oui, pensa Sandecker avant de reprendre :

« Environ deux cents autres experts ont été appelés en renfort. Tous les spécialistes de l’industrie privée ont été consultés en vue de permettre l’assainissement des eaux polluées. »

Le Président regarda sa montre.

« Je dois abréger maintenant. Le troisième acte ne commencera pas sans moi. De toute façon, vous avez vos quarante-huit heures, amiral. Passé ce délai, j’ordonne l’évacuation et déclare toute cette zone sinistrée. »

 

Fawcett raccompagna le Président à sa loge. Il s’installa juste derrière lui afin de pouvoir converser à voix basse tout en feignant de s’intéresser au spectacle.

« Vous voulez annuler la croisière avec Moran et Larimer ? »

Le Président secoua imperceptiblement la tête.

« Non. Mon projet d’aide aux pays satellites a la priorité absolue sur tous les autres problèmes.

— Je dois vous exprimer mes profondes réserves. Vous menez une vaine bataille pour une cause perdue.

— Vous me l’avez déjà dit au moins cinq fois depuis le début de la semaine, répliqua le Président en dissimulant un bâillement derrière son programme. Comment se présente le vote ?

— Une vague d’oppositions conservatrices est en train de se créer. Il nous faudra trouver une quinzaine de voix à la Chambre des représentants et cinq ou six au Sénat pour faire passer le décret.

— Nous avons connu des situations plus désespérées.

— Certes, murmura tristement Fawcett. Mais cette fois-ci, si nous perdons, votre administration pourrait ne pas être reconduite pour un second mandat. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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